Affinity Publisher, l’arme fatale ?
par Thierry H. le 11 janvier 2019
Avec deux ans de retard sur ses premières annonces, Affinity avance enfin le troisième pion de sa stratégie de conquête du marché graphique : Publisher. Mais ce nouveau challenger est-il suffisamment armé pour ébranler le quasi-monopole d’Adobe ? Sa version bêta nous offre un début de réponse…
Un nouveau logiciel de mise en page avec de vraies ambitions professionnelles, ce n’était plus arrivé depuis longtemps ! C’est en effet en août 1999 qu’Adobe dévoilait la première version d’une application promise à un bel avenir : InDesign.
Dix-neuf ans plus tard, les Anglais de Serif tentent de rééditer l’opération. Cette fois, le prétendant au trône débarque sans aucune fonctionnalité révolutionnaire mais pourra peut-être s’appuyer sur le mécontentement des utilisateurs d’InDesign. Il comptera surtout sur un argument de choix : un prix qui, s’il n’est pas encore connu, devrait être plus que compétitif face au « loyer » mensuel imposé par Adobe. Et Publisher possède un avantage sur ceux qui se sont attaqués à la forteresse Adobe : le succès de ses aînés dans la gamme Affinity, Photo et Designer.
Après les bonnes surprises réservées par ces derniers, on était en droit d’attendre de Publisher un sans-faute, ou presque. Avec la version bêta sortie cet été, nous n’y sommes pas encore. Le nouveau-né semble stable, rapide et plutôt facile à prendre en main, mais quelques défauts viennent gâcher le tableau. Petit bulletin de notes…
Les bonnes surprises
Interface : pas trop déroutante pour les utilisateurs d’InDesign, elle impressionne… même si tout n’est pas parfait. Après tout, il ne s’agit que d’une bêta. Publisher évolue constamment et l’équipe de développement semble tenir compte des critiques.
Petit inconvénient toutefois, l’accès à la plupart des panneaux se fait via le sous-menu Studio du menu Affichage (View), comme dans Affinity Photo. Dommage de ne pas disposer d’un accès plus direct. Toujours au niveau des panneaux, on note qu’un historique – comme dans Photoshop mais aussi dans le reste de la suite Affinity – permet un retour en arrière plus aisé que le recours à l’annulation en série.
Un des avantages de Publisher devrait être la collaboration entre les 3 applications de la gamme. Deux « personas », pour reprendre la terminologie de la marque sont ainsi disponibles dans la barre de contrôle, une pour le travail sur les vecteurs, l’autre pour celui sur les pixels. Ces deux boutons devront cependant attendre une mise à jour de Photo et Designer pour prendre vie. À revoir à ce moment-là.
Fonctions prépresse : RGB, CMJN et Niveaux de gris sont supportés, de même que le Lab. Les couleurs Pantone sont également au rendez-vous mais leur gestion est peu ergonomique au contraire des couleurs globales, simples à utiliser. La boîte de dialogue Préférences > Couleurs ne manque de rien et ressemble comme deux gouttes d’eau à celle d’InDesign. La fenêtre Document Setup permet de choisir le profil du document, voire de le modifier par conversion ou assignation.
Export, import : l’export est possible dans de nombreux formats et l’export PDF comporte tous les paramètres indispensables. En fait, il est presque mieux pensé que celui d’InDesign ! Bien entendu, il n’y a pas – encore ? – d’export indu ou idml. Idem pour l’import et c’est sans doute plus grave. Pas question de repartir d’une mise en page InDesign, ni même idml. Par contre, Publisher ouvre les fichiers PDF sans aucun souci, presque comme des documents natifs. Il importe la plupart des fichiers habituels, y compris le psd…
Publisher dispose, dans le menu Document, de gestionnaires de fontes et de ressources permettant de s’assurer facilement de la présence et de la qualité des images, illustrations ou polices utilisées. Il gère également la surimpression du noir et il est possible, lors de la création d’une couleur, de la définir en surimpression.
Gestion des images : les fonctionnalités essentielles sont bien présentes mais leur maîtrise n’est pas des plus simple. On peut ainsi se retrouver avec des illustrations incorporées (et non liées) sans l’avoir voulu et la taille du fichier Publisher s’en ressent forcément.
De même, la manipulation des images importées, si elle propose des nouveautés intéressantes – son fonctionnement rappelle un peu celui de Sketch et on peut choisir le comportement des images lors du redimensionnement du cadre – est un peu déstabilisante.
Il faut ainsi double-cliquer sur une image pour pouvoir la déplacer dans son cadre, mais seulement avec la flèche noire et après avoir éventuellement converti l’image en cadre-images (picture frame). Pas évident, d’autant plus que le rectangle de sélection ne change pas d’aspect, selon que le cadre ou son contenu soit sélectionné, ce qui est perturbant si les deux éléments sont de taille identique… On peut espérer qu’Affinity trouvera un moyen de rendre ces opérations plus claires dans la version finale.
Qu’il s’agisse d’images, de blocs de texte ou d’autre élément, le magnétisme proposé par Publisher s’avère efficace, et il est, depuis la dernière bêta, activé par défaut. Son réglage peut être fastidieux mais Publisher propose, ici comme à beaucoup d’autres endroits, de sauvegarder des pré-réglages via son panneau Snapping manager.
Gestion du texte : les fonctions essentielles sont là et Publisher nous réserve même quelques nouveautés qui pourraient inspirer la concurrence. Styles de paragraphes et styles de caractères sont bien présents, regroupés en une seule palette et identifiés par des icônes spécifiques. On y trouve aussi des « Styles de groupe » dont l’utilité n’est pas encore très claire.
Jolie trouvaille, les styles peuvent être hiérarchisés : un style basé sur un autre apparaîtra alors en retrait de celui-ci, à la manière d’un sous-calque ou d’un groupe par rapport à son calque principal. Innovation aussi dans les paramétrages de paragraphes : on peut éliminer l’espace avant en haut des colonnes, ignorer les espaces avant et après lorsque des paragraphes de même style se suivent et on peut fusionner les espaces avant et après automatiquement (un peu à la manière de la fusion des marges en CSS).
Les réglages de césures vont eux aussi un peu plus loin que ce qu’on connaît déjà. Reste à voir si cela sera utilisé… La gestion des filets est plutôt bien conçue mais moins puissante que chez son concurrent.
Documents complexes : sans atteindre le niveau d’InDesign, Publisher offre déjà une panoplie de fonctions intéressantes : index, sections et table des matières automatique sont d’ores et déjà présents, de même qu’un outil tableau assez puissant et ergonomique permettant même le tri dans les tableaux. Pas de notes de bas de page, de références croisées ou de blocs ancrés pour le moment ni pour la version finale : ils sont prévus pour plus tard.
Les points noirs
Les gabarits : une fois un document créé, un petit passage par le panneau Pages rassure et inquiète tout à la fois. Pages et gabarits sont bien présents – c’est la moindre des choses – et le réglage via Document setup et Spread setup est assez complet. Publisher est bien capable de gérer plusieurs tailles de pages dans un document, mais seulement par planche.
Et, contrairement à son concurrent américain, il ne permet pas de créer des planches de 3 ou 4 pages, éventuellement de largeurs différentes. Impossible donc de créer un dépliant 3 volets à partir de 6 pages assemblées en 2 planches. Bien sûr, cette possibilité n’est arrivée dans InDesign qu’avec la version 5.5. mais elle se révèle très pratique au quotidien et s’en passer ne sera pas facile…
Publisher ne gère pas non plus les gabarits parents-enfants. Soit. Mais qu’il soit pour le moment impossible de placer un bloc de texte dans une page type pour ensuite le libérer sur les pages de la composition et y placer du contenu, c’est incompréhensible ! De quoi détourner du logiciel anglais la plupart des graphistes professionnels… si ce n’est pas corrigé très vite.
L’automatisation du travail : ce n’est sans doute pas une surprise, mais ni les styles imbriqués, ni les styles GREP ne sont au rendez-vous. Les premiers sont remplacés par une fonction Premiers mots (Initial words) qui est loin d’être aussi flexible que celle d’InDesign.
Quelques défauts mineurs viennent également agacer l’utilisateur. Pour les francophones, On peut noter que Publisher dispose, dans sa dernière bêta, d’espaces
fines insécables (thin space ou hair space). Mais sans raccourci-clavier pour le moment…
Le fait que les limites de la zone de bords perdus ne soient pas matérialisées à l’écran n’est pas non plus très pratique, même si les fonds perdus se retrouvent bien à l’impression ou lors d’un export PDF.
Côté sauvegarde, Publisher ne dispose pas de fonction d’assemblage et sa manière de gérer les images liées semble encore un peu brouillonne…
Enfin, il faut encore noter l’absence de toute possibilité de création de documents interactifs – même les liens hypertextes sont exclus pour le moment – comme des livres électroniques, pubs ou PDFs interactifs. Il s’agit d’un handicap certain, mais ce manque ne touchera pas tous les utilisateurs potentiels du nouveau logiciel.
Faudra-t-il acheter Publisher à sa sortie ?
La réponse à cette question dépendra largement des attentes de l’acheteur. Après avoir mis en page une brochure de quelques pages relativement élaborée, Publisher semble rapide et stable. Avec lui, il est possible de réaliser à peu près n’importe quel type de document et le résultat sera conforme aux standards
professionnels. La gestion des gabarits reste le plus gros point noir actuel et il n’est pas certain qu’il sera réglé avec la version finale du nouveau-né.
Les habitués d’InDesign éprouveront donc quelques difficultés à abandonner leur champion, difficultés encore accentuées par une automatisation moindre; Pour les autres, à commencer par ceux qui ont besoin d’une solution professionnelle mais dont la pratique ne justifie pas l’investissement coûteux dans une licence Adobe, Publisher est une alternative tentante. Si le prix reste proche des habitudes d’Affinity, alors Publisher pourra peut-être recréer un peu de concurrence dans le monde très monopolistique de la PAO…