Polices variables, retour vers le futur ?

par Thierry H. le 28 mai 2019

Postscript type 1, Truetype, Opentype… Nous connaissons tous ces formats qui accompagnent notre travail depuis l’avènement de la Publication Assistée par Ordinateur ou presque. Mais qui se souvient encore de Postscript Type 3 ou de Multiple Master ? Tombées dans l’oubli ou frappées d’obsolescence, ces créations d’Adobe offraient pourtant d’intéressantes fonctionnalités. L’éditeur californien s’en est sans doute rappelé, puisqu’il revient à la charge, en compagnie d’Apple, Microsoft et Google, avec de nouvelles incarnations de ces produits disparus.

Si le plomb présentait des défauts, il possédait aussi quelques avantages qu’ont perdu les polices informatiques : chaque taille de caractère devant être dessinée de façon spécifique, le dessin des lettres était adapté à celles-ci pour en maximiser la lisibilité et l’esthétique. Avec les caractères informatiques, le même dessin mis automatiquement à l’échelle sert pour tous les corps, du texte courant aux gros titres, avec un résultat qui manque parfois de finesse.

 

La police Requiem de Hoefler & Co propose trois variantes optiques.
Fine, Text et Display – pour s’adapter avec élégance à toutes les tailles.

 

Plusieurs tentatives ont été entreprises pour corriger ce défaut, en proposant des variantes optiques (Diplay, body, etc.), ou en créant des formats de polices capables d’être adaptés au changement de taille (Multiple masters, TrueType GX). Aucun de ces essais n’a jusqu’ici rencontré le succès.

Les fontes variables nouvelle mouture tentent à leur tour de répondre à ce problème mais connaîtront-elles un meilleur sort ? Les éditeurs semblent avoir appris de leurs erreurs et proposent cette fois un produit plus abouti et plus facile d’utilisation même si le principe de base reste identique : l’ensemble des variantes d’une police (taille, graisse, chasse) se trouvent réunies dans un seul fichier (une police Opentype modernisée, voire une Truetype). Le graphiste est alors libre d’adapter les caractères à ses besoins… dans les limites fixées par leur créateur.

Ces limites sont matérialisées par une série de paramètres appelés « axes ». Graisse (wght), chasse (wdth), italisation (ital), taille optique (opsz) et inclinaison (slnt) sont les 5 axes de bases « réservés » mais il est possible d’en ajouter bien davantage : hauteur des ascendantes ou descendantes, épaisseur des empattements, contraste entre pleins et déliés, etc. Les possibilités sont innombrables !

Dans certains cas, le réglage d’un paramètre se limitera à une alternative simple, tout ou rien (par exemple pour l’italisation). Dans d’autres, un curseur permettra toutes les variations entre un minimum et un maximum, par exemple du très maigre au très gras.

 

Le paramétrage de la police Amstelvar est quasiment sans limite.
Le petit utilitaire Fontview permet de voir les dix-sept axes disponibles !

 

Des noms d’instance peuvent avoir été inclus dans la police. Dans ce cas, choisir l’un de ceux-ci (Medium italic, par exemple) sélectionnera automatiquement le jeu de paramètres correspondant. Bouger le curseur fera basculer la fonte vers une version « personnalisée » (custom).

On peut s’amuser à faire l’essai avec un logiciel classique (Illustrator, InDesign, etc.) ou avec un utilitaire gratuit comme Fontview (https://github.com/googlei18n/fontview).

On le voit, customiser une police pour la faire correspondre à un besoin particulier (choisir la chasse pour l’adapter à une largeur de colonne donnée, etc.) devient donc possible. Utile pour l’imprimé, cette liberté retrouvée pourra aussi intéresser les web designers. Avec un support qui se généralise (Safari, Chrome, Edge, etc.), le recours aux polices variables est maintenant envisageable.

Les projets « responsive » – mais en reste-t-il beaucoup qui ne le soient pas – pourront donc bénéficier d’une adaptabilité plus grande encore. Mais au prix de réglages assez complexes…

Il faut dire que les possibilités offertes dépassent ce qu’on a connu avant. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil à la page de test (https://v-fonts.com/fonts/amstelvar)créée par Nick Sherman pour sa police Amstelvar. Avec un navigateur récent, on peut y manipuler pas moins de 17 paramètres différents et constater le résultat en temps réel…

Dans le même ordre d’idées, le projet de Jason Pamental sur codepen (https://codepen.io/jpamental/pen/MGEPEL) permet de découvrir une réalisation concrète sur base de la fonte FF Meta VF (version variable de la police dessinée par Erik Spiekerman).

Acumen, une police fournie avec les logiciels Adobe, se contente
de trois axes, facilement manipulables dans Illustrator ou InDesign.

 

Bien entendu, le fait qu’une seule police soit utilisée pour tous les styles permet un gain de poids par rapport à l’utilisation d’une famille complète de fontes (même si une police variable pèse toujours plus lourd qu’une police classique isolée). Une révolution typographique est peut-être en marche. Reste à voir qui aura le temps et les compétences pour tirer parti de ces nouvelles opportunités…

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