Démarche inclusive et éco-conception pour une approche éthique des produits et services numériques

par Michèle Vos le 25 octobre 2022

Paris Web … 16 ans déjà et toujours là ! Mon premier Paris Web c’était en 2009, l’événement en était à sa troisième année. Ce rassemblement est vite devenu un incontournable pour les formateurs Web du Cepegra, on y assistait à des conférences et ateliers menés par des pointures du code, du design, de l’expérience utilisateur, de l’animation, de l’accessibilité. Nous en revenions gonflés à bloc de mises à jour et de nouveautés pour nos cours. Au fil du temps, nous sommes allés à d’autres événements tout aussi enrichissants mais, cette année, j’ai renoué avec la tradition.

Au programme, 28 conférences et 14 ateliers. Je ne vais pas ici faire le tour de toutes les conférences auxquelles j’ai assisté mais plutôt un retour général. De l’accessibilité au Green UX en passant par l’inclusion et l’éco-conception, je vais tenter de vous montrer combien tout cela est intrinsèquement lié.

Élargir la notion d’accessibilité

Les méthodologies centrées sur les besoins des utilisateurs ont démontré que l’on a tout à gagner à prendre en compte les utilisateurs dès le tout début de la conception d’un service numérique ainsi qu’au cours de son développement et après son déploiement.

Ces dernières années, un focus plus important a été mis sur l’accessibilité numérique à toute personne en état de fragilité. À l’approche classique de l’accessibilité pour les usagers en situation de handicap physique sont venues se greffer la prise en compte des personnes en précarité numérique ainsi que celle des profils dits atypiques. Ces utilisateurs peuvent avoir des problèmes avec la langue, avec l’utilisation d’outils numériques simples, présenter des troubles de l’attention, de la dyslexie, de l’autisme… Se pencher sur ces besoins spécifiques doit permettre à tous de se sentir à l’aise avec les produits que nous concevons.

Inclusion dès la conception

On estime qu’une personne sur 6 se trouve en situation de handicap, qu’il soit temporaire ou permanent, et est, de ce fait, contrainte dans ses usages du numérique. Se pencher sur l’expérience d’une personne au travers des difficultés qu’elle rencontre permet de changer de point de vue et, par la même, d’anticiper les obstacles qu’elle risque de rencontrer. Il est donc important, lorsque l’on définit le parcours des utilisateurs, d’y inclure des difficultés qui pourraient être discriminantes.

Partant de ce constat, Nathalie et Stéphane Deschamp, dans la conférence « Personae en situation contrainte » présente un set de 12 personae. Ces fiches d’utilisateurs types développées à l’attention des concepteurs de chez Orange présentent différents profils de personnes en situation contrainte. Elles s’accompagnent d’une liste très complète des erreurs courantes à éviter et de bonnes pratiques. Leur travail n’est pas encore accessible à tous mais vous trouverez ici déjà de bons outils : https://a11y-guidelines.orange.com/fr/persona/

Ces réflexions trouvent aussi écho dans la conférence de Romy Duhem-Verdière « Accessibility by design, comment embarquer les designers ? ». Elle propose dès le début d’un projet de ne pas juste se demander : « Pour qui concevons-nous ? » mais aussi  « Qui est exclu ? » et, une fois ces publics identifiés, « Comment empêcher cette exclusion ? ».

Par de nombreux exemples, elle démontre que tenir compte des personnes en situation compliquées dès le tout début d’un projet amène les designers à résoudre, dans la volée d’autres problèmes, ce qui au final bénéficie à tous. Pour exemple, de nombreuses innovations dont nous profitons tous ont été pensées d’abord pour faciliter la vie de personnes victimes de handicaps : les télécommandes, les robinets à déclenchement automatique, les portes automatiques… Faciliter la vie des plus faibles amène très souvent à aider tout le monde.

Illectronisme

Un adulte sur dix éprouve des difficultés à lire et à écrire, mais lorsqu’on parle de l’utilisation d’outils numériques, le pourcentage de personnes exclues représente 40% de la population. 4 personnes sur 10 éprouvent donc, pour diverses raisons, de vraies difficultés à utiliser les outils digitaux. On peut, par l’éducation et l’accompagnement, augmenter le nombre d’usagers qui seront à l’aise avec les services numériques… mais cela ne concernera jamais tous les utilisateurs.

Raphaël Yharrassarry dans sa conférence « llectronisme et numérisation des services publics » propose d’abandonner une fois pour toute le fantasme de « normaliser le citoyen » cela n’arrivera pas et ne contribuera qu’à augmenter le sentiment d’humiliation des personnes en précarité numérique.

Son constat sur les tentatives du tout au numérique dans les services publics en France pourrait être transposé à ce qui se passe dans notre pays : on met en place des aides pour les personnes en difficultés mais l’information sur ces aides se trouve en ligne. On propose des aides en présentiel mais parfois impossibles d’accès pour les personnes vivant en zones rurales. On demande aux personnes d’imprimer ou de scanner un document alors que  22% des personnes connectées font tout sur leur smartphone, etc.

Pour éviter de perdre le citoyen dans les services publics, il propose la remise à plat de tous les services pour en revoir le fonctionnement au départ d’une conception centrée sur les besoins et le parcours utilisateurs, en y incluant les démarches d’écoconception : réduire aux fonctions essentielles, développer pour des vieux ordinateurs, laisser à l’usager le choix du mode relationnel : numérique, téléphone, poste, aide individualisée…

Ecoconception

Des DataCenters couvrant plus de 43 000 000 m2, 34 milliards d’objets et terminaux connectés, des millions de kms de câbles…L’impact de l’IT et des usages du web sur notre planète est en augmentation continue. L’empreinte annuelle mondiale du numérique connecté est de l’ordre de 1500 millions de tonnes équivalent CO2.

En 27 ans, le poids moyen d’une page web a été multiplié par 155 ! Réduire l’impact des services numériques que nous concevons doit faire partie de nos démarches de conception. Pour y arriver, il est important de se pencher sur l’ensemble du cycle de vie de ce service.

Le cycle de vie des services numériques.

Lors de la conférence « Concevoir des services eco-responsables en alliant design de service et écoconception », Florie Bugeaud-Remont explique que 80% des impacts environnementaux d’un projet peuvent être évités si on en tient compte durant la conception. Il est facile d’obtenir des performances élevées si on déploie une débauche de moyens, ex : multiplier les serveurs.

L’écoconception web demande de réduire l’empreinte du service en ligne tout en maintenant son niveau de qualité. C’est ici que la prise en compte de l’impact écologique dès le premier stade de la stratégie prend tout son sens. Cette approche implique de partir d’hypothèses autour du cycle de vie complet de ce que l’on désire développer, tant sur sa plus value pour les utilisateurs que sur son impact sur l’environnement. Cette approche, déployée dès les prémices du projet, permettra de repérer les bons problèmes pour offrir
les bonnes solutions.

Green UX

L’UX s’élargit donc assez naturellement de la prise en compte des besoins de l’utilisateur à sa consommation du numérique. Une grande partie de l’impact écologique du numérique est dû au fait que les utilisateurs, s’ils veulent pouvoir suivre l’évolution des applications, sites et logiciels doivent souvent changer de smartphone ou d’ordinateurs. Cette course en avant et l’obésité galopante des contenus, nous concepteurs en sommes aussi responsables.

Dans sa conférence « Green IT, que faire en tant que professionnel du web ? » Raphaël Lemaire met en évidence qu’une optimisation des apps et sites dont nous avons la responsabilité passe toujours par la simplification. Dans tous les produits numériques on trouve de nombreuses fonctionnalités qui se révèlent ne pas être utilisées, il est donc important de procéder à un grand nettoyage. Non seulement cela va optimiser les performances de l’application et donc ne pas exiger l’acquisition de nouveaux appareils, mais aussi fluidifier l’expérience de l’utilisateur.

Optimiser les photos et vidéos et proposer un format adapté à l’écran, proposer une version textuelle pour les vidéos, préférer le svg aux images, réduire les échanges client-serveur en limitant le nombre de requêtes par écran, mettre en œuvre une stratégie de cache côté client et côté serveur, ne charger que les composants nécessaires, supprimer les données inutiles, éviter les redondances… Ce travail d’amaigrissement peut sembler très long s’il est opéré sur de l’existant, par contre, y penser dès la conception et l’introduire dans ses process permettra souvent à diminuer le temps de développement (surtout pour des fonctionnalités superflues).

Les services numériques français mettent à disposition le Référentiel général d’écoconception de services numériques (pour l’instant en version Beta). Il propose 90 critères d’écoconception répartis sur les 8 étapes de conception : Stratégie | Spécifications | Architecture | UX/UI | Contenus | Frontend | Backend | Hébergement. C’est un outil très pratique pour concevoir, auditer ou optimiser un site ou une app : https://ecoresponsable.numerique.gouv.fr/publications/referentiel-general-ecoconception/

Référentiel général d’écoconception de services numériques.

Design Ethique : des services numériques
responsables et durables

Pour déployer une démarche éthique dans le numérique il convient donc de privilégier, à tous les stades de la réalisation, une vision centrée sur les besoins réels et le ressenti des utilisateurs, de prendre en compte toutes les situations d’exclusion, de se préoccuper de l’impact écologique… sans oublier la protection des données personnelles.

Tous ces principes de conception peuvent sembler rébarbatifs et pourtant, à l’heure où la 5G, les objets connectés et l’I.A. commencent à s’inviter dans nos projets, ces préoccupations devraient aller de soi, permettant d’éviter des dérives éthiques, sociales et écologiques.

Et, pour ceux qui souvent craignent que toutes ces contraintes viennent brider la créativité, je répondrai par la citation de Baudelaire : « Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense ! »

Retrouvez l’intégralité du programme de l’édition 2022 de Paris Web ainsi que les vidéos des conférences sur : https://www.paris-web.fr/2022/

Je vous propose également, pour prolonger le sujet, de visionner le très bon Talk ( à un autre évènement) de Audrey Neveu et Agnès Crepet de chez Fairphone : [Sunny Tech 2022] Keynote ouverture : Numérique et éthique : l’impossible équation ?
https://bit.ly/SunnyTech2022

Michèle vos

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