La risographie : de la photocopie à l’œuvre d’art

par Etienne Lens le 12 septembre 2017

Le besoin en documents imprimés à petit tirage et à faible coût a fait germer dans la tête du japonais Noboru Hayama l’idée d’inventer une machine capable de produire des imprimés « maison » de manière simple. Il invente la machine idéale (« riso » en japonais signifie « idéal »). Nous sommes alors en 1946, le système se développe et les premières machines sont commercialisées. La risographie part à la conquête du monde.

Carte postale réalisée en risographie par Corinne Clarysse ©

Entre sérigraphie et photocopie

Techniquement parlant, l’impression « riso » est un procédé de duplication automatisé à jet d’encre à froid. On peut parler d’un croisement entre la sérigraphie et la photocopie. Le procédé d’impression fonctionne par couche de couleur, imprimée une à une, et se superposant. L’ordre d’impression a son importance. Ce procédé se base sur le principe du modèle (aussi appelé master), un rouleau de papier d’acétate et de cire. Un modèle correspond à une couleur choisie. Il y a ainsi autant de modèles à créer que de couleurs à imprimer.

Placement d’un tambour muni de sa cartouche dans la machine.

Cela se déroule comme suit : on fixe le tambour cylindrique dans lequel est introduite la cartouche d’encre, on place l’élément à reproduire sur la vitre d’exposition, celui-ci est scanné et appliqué sur le modèle, la feuille de papier est avalée par la machine et l’encre est appliquée dessus.

Comme pour la sérigraphie, la préparation du document final doit tenir compte du résultat souhaité et du nombre de couleurs, qui doivent être séparées en éléments distincts pour créer les modèles.

À gauche, le tirage en « riso ». À droite, le collage original en papier. Corinne Clarysse ©

Risomania

Vu ses avantages, ce système a connu un engouement particulier dans des établissements comme les écoles et les administrations. Sa première utilisation fut donc la reproduction de documents textes. Ensuite, des créateurs y ont vu une potentialité artistique hors du commun et lui ont trouvé une seconde destination.

La risographie a rapidement suscité l’intérêt auprès des métiers des arts graphiques : son rendu proche de la sérigraphie, sa technique d’utilisation automatisée et rapide, son coût de revient compétitif, et surtout cette spécificité qui rend cette impression proche de l’artisanat : un rendu des couleurs unique, les textures de papier recommandées (du non couché, évidemment), son côté écologique (les encres sont sans solvants), mais aussi un repérage pas toujours parfait, un séchage lent, la présence d’une trame, donnent un résultat imprimé si singulier.

Symptômes du renouveau qu’elle suscite, de nombreux artistes, studios graphiques et autres créateurs plébiscitent cette technique pour la réalisation d’affiches, de dépliants, de cartons d’invitation, de catalogues, de magazines, d’imprimés d’art ou encore de couvertures d’album.

Des collectifs naissent, des réseaux s’organisent. Pour preuve, lors de l’édition 2016 du festival international de la bande dessinée à Angoulême, un atelier de quatre jours a été consacré à la risographie, rassemblant une foule de curieux autour d’une phalange d’auteurs et de l’éditeur anglais Breakdown Press.

Visite chez deux passionnés

Nous avons rendez-vous chez Actes Nord, en banlieue de Charleroi. Le duo Corinne Clarysse et Nicolas Belayew nous reçoit dans son atelier qui sent bon l’encre et le papier. Ils ont fondé ce projet d’édition indépendante il y a environ 7 ans. Ils découvrent la risographie lors d’une rencontre avec Topo Copy, un centre-laboratoire de recherche pour l’édition imprimée basé à Gand. Soudain naît chez eux le besoin d’une solution de production d’imprimés autonome.

Corinne Clarysse et Nicolas Belayew d’Actes Nord Editions.

Nous avons déniché une machine « riso » d’occasion pour un prix modique, raconte Nicolas. On a commencé à l’apprivoiser. Nous avons beaucoup de contacts
avec des graphistes, dessinateurs, illustrateurs, auteurs qui viennent régulièrement collaborer avec nous, poursuit-il. L’idée est d’avoir un outil qui nous donne une indépendance pour produire des choses de A à Z. Aller chez un imprimeur, c’est un véritable budget.

Si je me réveille le matin avec une idée, je peux la réaliser dans la journée. C’est une question d’immédiateté, une émulation de concrétiser un projet d’emblée,
ajoute Corinne.

Corinne et Nicolas sont conscients des contraintes mais ne nient pas le charme qui en découle. La machine a les défauts de ses qualités, explique Nicolas. Celle-ci date des années ’90 , si une pièce cassait, cela pourrait être ennuyant. Nous avons dû appeler le réparateur deux ou trois fois déjà. On peut dire que cela fonctionne comme une voiture ancêtre. Nous disposons maintenant d’une deuxième machine plus récente. Elle ne sort que du format A4 mais on peut la brancher sur l’ordinateur via une prise USB. C’est pratique pour travailler à partir de fichiers PDF, admet Nicolas.

Leurs réalisations sont aussi variées que des livres, des magazines, des cartes postales , entre autres (ci-contre, carte postale réalisée en risographie par Corinne Clarysse ©).

Ce qui m’intéresse plus particulièrement, c’est de travailler avec des couleurs pleines et vives, comme en sérigraphie, explique Nicolas. Cette machine permet d’imprimer avec des couleurs fluo ou métallisées, des couleurs impossibles à avoir en photocopie couleur traditionnelle voire même en offset classique, ajoute Corinne. Et Nicolas d’avouer : depuis tout petit, je rêve de jouer avec une photocopieuse !

Les imprimés sont issus soit de la collaboration avec des amis artistes soit de leur propre production. Ils les diffusent sur des salons de micro-édition et dans des librairies spécialisées, notamment à la librairie « Le Dépôt » à Liège.

Notre objectif n’est pas de faire de la production de masse ; nous tirons à 50, 100 exemplaires. En plus, il s’agit d’objets destinés à un public averti, dit Nicolas. Corinne poursuit : pour caricaturer, on ne verrait pas ce type d’ouvrages chez « Club », cela n’aurait aucun sens. La « riso » nous sert également à faire notre propre promotion : des flyers, des affiches pour les événements que nous organisons comme « le Jour de la Pédale » (ndlr : un événement carolorégien autour du thème du cyclisme).

Corinne et Nicolas sont à l’origine de « Papier Carbone », le festival de l’image imprimée et de l’auto/micro-édition à Charleroi, un rendez-vous où se croisent les artistes dans des workshops et des animations diverses.

Nous avions amené la « riso » sur place dans le but de la mettre à disposition du public. Les participants pouvaient tester le système et repartir avec leurs imprimés. Il faut savoir que les enfants sont particulièrement intéressés par ce type d’expériences.

La risographie est l’exemple type d’un détournement de la fonction originelle d’un outil, en témoigne la créativité dont ont fait preuve les artistes opportunistes qui en ont exploité les possibilités.

À la question « est-ce l’outil qui fait l’œuvre ? », nos deux hôtes répondent par l’affirmative. Cela sous-entend de concevoir les projets en fonction de l’outil que l’on va utiliser pour les imprimer. Il faut tirer profit des contraintes techniques. Elles ont une influence et c’est une bonne chose, résument Corinne et Nicolas.

Actes Nord Editions
Rue César de Paepe, 28 à 6001 Marcinelle
hello@6001isthenew1060.be

Ressources :
http://actesnord.tictail.com
http://www.papiercarbone.be
http://www.topocopy.org
http://www.bdangouleme.com
https://fr.wikipedia.org/wiki/Risographie
http://www.risofrance.fr
https://www.risottostudio.com
https://issue.press

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