Mobile : de nouvelles pratiques de conception
par Michèle Vos le 22 juin 2013
La multiplication des écrans et des méthodes de connexions modifie en profondeur les usages et entraîne des changements considérables dans les métiers du web. Cette expansion n’est pas prête de s’arrêter, smartphones et tablettes de toutes tailles, web TV… nouveaux systèmes, nouvelles fonctionnalités, à chaque émergence d’un produit, il faut l’intégrer dans nos processus de développement, apprendre de nouvelles techniques et remettre nos pratiques en question.

On a tendance à toujours s’appuyer sur ce que l’on connaît pour s’adapter à un nouveau médium, il suffit de voir les premières émissions TV qui, calquées sur la radio, présentaient le speaker face à son micro. Pendant des années, on a pensé les sites web à partir du modèle que l’on connaissait : le magazine ou le livre imprimé. Il a fallu de nombreuses années pour s’en éloigner et considérer une interface web comme autre chose qu’un magazine cliquable (pour certains, ce n’est pas encore acquis).
Ce qui rend ces nouveaux changements rafraîchissants, c’est qu’ils nous poussent à dépoussiérer entièrement nos méthodes et à penser nos interfaces comme s’il s’agissait d’un écosystème capable d’évoluer, de se décliner sur toutes sortes de supports, de s’adapter aux différents contextes de consultation. La conception d’interfaces web mobiles ne consiste pas juste à faire en sorte qu’un site web « bureau » s’adapte à un écran « mobile » de taille différente. Les réponses techniques sont indissociables de l’élaboration des interfaces web mobiles mais la technologie ne doit pas être prioritaire dans le processus de conception. Ce qui doit se trouver au centre de cette démarche doit toujours être l’utilisateur.
Chaque jour dans le monde, on vend plus de smartphones que ne naissent d’enfants ! L’expansion du mobile, d’une rapidité sans précédent a fait naître cet homme d’un genre nouveau : le mobilenaute. La réalité de cet utilisateur du web : « J’ai des écrans tout autour de moi… et puis, qu’est-ce que j’en fais ? ». Les usages même restent encore à inventer !
Considérer le web mobile comme juste un autre moyen de consulter des sites, d’y faire des achats et de relever ses mails serait limiter ces smartphones à l’unique usage de consultation du web, or ces petites merveilles technologiques sont aussi de super-couteaux suisses permettant de téléphoner, photographier, filmer, enregistrer, interagir avec les sons et les images, se localiser, écouter de la musique, jouer, s’interconnecter… Notre mobilenaute veut pouvoir l’utiliser dans toutes ses possibilités. Il ne doit pas avoir à se soucier de savoir s’il a besoin d’une application, d’un site dédié au mobile ou d’un site web pour réaliser une action, il veut juste ne pas avoir à y penser.
Pour que nos interfaces soient efficaces, elles doivent tenir compte des contextes de consultation et des tâches que l’usager doit réaliser dans ces situations. L’utilisateur du mobile se trouve, la plupart du temps dans un contexte peu propice au calme et à la concentration : dans le métro vérifiant d’un œil la progression de son voyage et écoutant la conversation de ses voisins, dans une salle d’attente, entre deux réunions… tout autour de lui le distrait. Lorsque nous sommes mobilenautes nous sommes souvent limités à « un pouce et un œil ».
Les temps de consultation sont parfois très courts : « Avant l’arrivée du bus, j’ai juste un petit moment pour… ». Parfois, l’usager doit avoir sa réponse très vite : « Où se trouve mon rendez-vous ? », « A quelle heure la prochaine séance ? », à d’autres moments, il s’agira de très longues consultations « Comment passer le temps pendant mes 3 heures de train ? ».
L’élaboration d’une interface demande de définir les contextes les plus plausibles d’utilisation selon le produit. Il faudra lister les différentes tâches que l’internaute va effectuer, certaines à partir de son mobile, d’autres sur son ordinateur de bureau. Parfois, il démarre une consultation sur son ordinateur mais désire prolonger l’expérience sur son mobile. Il s’attend donc à se retrouver dans un environnement similaire pour prolonger son expérience, celle-ci ne doit pas se retrouver amoindrie sur l’une ou l’autre plateforme.

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L’utilisation de technologies propres au mobile n’est pas facilement applicable, il faut jongler avec les incompatibilités et les exceptions et surtout penser aux performances. Ainsi, il faut parfois avoir recours à des techniques de « dégradation gracieuse » permettant la meilleure expérience à celui qui rassemble les meilleures conditions de consultation, mais aussi, l’expérience la plus adaptée pour celui qui ne possède pas le dernier cri de la technologie ou ne dispose pas d’une connexion optimale.
Lorsque tant de paramètres interviennent, il n’y a pas de recette toute faite, chaque situation est unique et doit être réfléchie, confrontée, testée, améliorée,
re-testée dans des conditions au plus proche de la réalité. Il est devenu presque impossible de développer seul un projet web de qualité. Il s’agit d’un travail d’équipe dans lequel interviennent tous les acteurs du projet : chargés de prod, ergonomes, clients, graphistes, intégrateurs, développeurs et testeurs se doivent de travailler ensemble. Ce processus doit trouver sa place tout au long de l’élaboration et de la réalisation du projet, il y a lieu de jalonner le développement de périodes de confrontation, tests et remises en question.
La technique dite du « mobile first » (cf. livre de Luke Wroblewski) consistant à partir de l’expérience mobile pour la décliner ensuite à d’autres médias semble de plus en plus adoptée partout. Elle permet de se focaliser sur l’essentiel, de partir de la plus petite surface et des conditions les plus exiguës et exigeantes. Je vous conseille aussi de lire ses articles ou visionner l’une de ses conférences, brillantes et accessibles :
http://www.lukew.com/presos/