Affinity Designer, un challenger à la hauteur  ?

par Thierry H. le 10 mai 2016

Premier pion avancé par Serif un an avant la sortie d’Affinity Photo (faites un détour pas notre article précédent si vous souhaitez en savoir plus), Designer s’attaquait à un solide bastion d’Adobe, le dessin vectoriel. Car si Illustrator est sans doute moins connu du grand public que Photoshop, il reste l’une des plus anciennes applications dédiées à l’infographie. Un nouveau venu pourra-t-il lui contester sa place de numéro 1 ?

L'éditeur anglais n'a pas soigné que son produit. Même les exemples fournis sont spectaculaires et démontrent les possibilités du nouveau venu.

À ma gauche, le tenant du titre : plus de 25 ans de domination malgré les défis lancés par ses challengers successifs : Corel Draw, Inkscape ou Sketch. Aujourd’hui encore, la majorité des professionnels parie sur ce vétéran qui allie une rare efficacité à un incomparable arsenal de fonctionnalités.

À ma droite, le nouveau prétendant qui, malgré moins de deux ans d’existence, peut se vanter de posséder une étonnante maturité. Fiabilité, performances, polyvalence et… prix serré sont ses principaux atouts.

Mais pour faire trembler le champion, encore faut-il se montrer à la hauteur une fois sur le ring.… Place au combat !

Round 1 : l’interface de Designer

On retrouve chez Designer une organisation similaire à celle d’Affinity Photo : fenêtre unique ou Mode séparé et « personas ». Mais ici, il n’y en a que trois : Draw, qui réunit toutes les fonctions que l’on est en droit d’attendre d’un logiciel de dessin vectoriel moderne ; Export, beaucoup plus épuré et limité à la découpe en tranche et à l’exportation ; Pixel, qui donne accès à toute une collection d’outils de manipulation d’images… Un choix qui pourrait se justifier pour un produit standalone, moins quand on sait que la gamme Affinity nous offre un logiciel complet dédié à cette tâche. Cette polyvalence fait de Designer un outil très complet mais peut aussi, à terme, le transformer en usine à gaz…

Comme Illustrator, Designer permet de basculer facilement du mode Tracé (appelé ici Contour) au mode Vecteur (l’équivalent de l’affichage Aperçu pour Adobe). Petite astuce : il permet de scinder la fenêtre en deux, une partie dévoilant les tracés, l’autre présentant le rendu final de l’illustration. La limite entre ces deux «mondes» peut être librement déplacée grâce à un curseur. En plus, Designer dispose aussi d’une prévisualisation en mode pixels classique ou Retina.

Scindé en deux, l'affichage de la fenêtre permet de passer aisément du mode Vecteur au mode Tracé, par le simple déplacement d'un curseur.
Scindé en deux, l’affichage de la fenêtre permet de passer aisément du mode Vecteur au mode Tracé, par le simple déplacement d’un curseur.

Rien d’étonnant à ce qu’un logiciel de dessin puisse afficher une grille. Mais Designer dépasse Illustrator en permettant de customiser celle-ci. Il sera par exemple possible de créer une grille à trois axes adaptée au dessin en perspective isométrique. Chez son rival, parvenir au même résultat demanderait de créer manuellement des lignes pour ensuite les convertir en guides.

Difficile d'imaginer paramétrage plus complet pour une grille. Pour certains typesd'illustrations, cela peut se révéler bien pratique.
Difficile d’imaginer paramétrage plus complet pour une grille. Pour certains types d’illustrations, cela peut se révéler bien pratique.

Comme son aîné, Designer dispose de plans de travail mais ils sont, pour l’instant, un peu moins ergonomiques que ceux de son adversaire.

Sur un plan plus esthétique, le look sombre de Designer ne plaira sans doute pas à tout le monde et il n’est pas possible de l’échanger contre une version claire… On notera aussi quelques incohérences dans la logique de l’interface : on accède à certaines actions via un bouton alors que des actions similaires, dans une autre palette, ne sont accessibles que via un menu ou un clic-droit.

Round 2 : les fonctions de base

Outils de sélection, Plume, Outil dégradé, Pathfinder, alignement, etc. L’essentiel est bien présent et, à quelques détails près, remplit son rôle avec efficacité. La plume travaille de quatre manières différentes avec un mode « intelligent » qui rappelle, sans toutefois l’égaler, le nouvel outil Courbure de CC 2015.

Du côté des formes primitives, Designer place la barre très haut. Aux traditionnels rectangle, ellipse ou étoile, il ajoute une interminable liste de possibilités : étoile double, losange, anneau, rouage, etc. Il faudra seulement s’habituer à leur fonctionnement.

Les paramètres de chaque forme sont modifiables de façon intuitive. On pourra ainsi jouer sur le diamètre interne d’une étoile, sur la largeur des dents d’un rouage, etc.

C’est simple et efficace mais il y a un revers à la médaille… Pour éditer manuellement une forme (même un simple rectangle), il faudra d’abord la décomposer (via le bouton Convertir en courbes) et elle perdra alors ses propriétés spécifiques.

Impossible également de tracer une forme à partir de son centre. Absence réelle ou option trop bien cachée ? C’est en tout cas bien gênant.

Round 3 : les fonctions avancées

Cela ne posera pas de problème à la majorité des utilisateurs mais l’absence de scripts peut malgré tout en décourager certains. Heureusement, Serif nous le promet pour très bientôt mais sans préciser sous quel forme : enregistrement d’actions ou codage? Javascript ou Applescript ? Ces questions restent en suspens pour l’instant…

Plus embêtante est l’absence d’un équivalent aux aspects d’Illustrator. Les habitués auront du mal à s’en passer mais, ici encore, la roadmap de Serif nous annonce quelque chose d’approchant. Encore un peu de patience avant de juger sur pièce.

Côté texte, le nouveau venu se montre à la hauteur (support des fonctionnalités opentype, réglages avancés, etc.) mais ne gère pas les styles de caractère ou de paragraphe…Peu utiles quand on crée un logo, ils s’avèrent par contre bien pratiques pour des infographies ou des illustrations complexes.

Par contre, Designer nous offre déjà de nombreuses fonctionnalités comme les styles graphiques, une gamme complète de pinceaux vectoriels ou d’effets bitmap (le cas échéant, il vous avertira qu’il a converti votre calque en pixels pour pouvoir les y appliquer).

Même si Designer nous propose des outils bitmap, les pinceaux vectoriels ne manquent pas à l'appel pour autant.
Même si Designer nous propose des outils bitmap, les pinceaux vectoriels ne manquent pas à l’appel pour autant.

Depuis sa version 1.4, Designer supporte les couleurs Pantone, en plus de pouvoir gérer les couleurs globales. Il génère aussi automatiquement des harmonies de teintes et offre même une option inconnue de son rival: il permet d’ajouter à une définition de couleur un niveau de bruit. Intéressant quand on travaille sur une illustration « vintage ».

De sa nature hybride mélangeant vecteur et pixel, Designer a hérité de la possibilité d’utiliser des calques de réglages comme on le ferait dans Photoshop. Les puristes trouveront sans doute cela déplacé mais l’opération semble fonctionner à merveille, même si devoir rouvrir un réglage pour le supprimer plutôt que de le glisser dans la corbeille n’est guère intuitif.

Round 4 : les performances

Fluidité et réactivité sont au rendez-vous. Même sur des travaux relativement complexes, Designer se révèle à la hauteur. C’est peut-être à mettre au crédit de sa jeunesse: son code est sans doute plus clean que celui d’un logiciel marqué par les années et les versions successives.

Round 5 : les formats supportés

Comme Affinity Photo, Designer peut sauvegarder un travail avec son historique. La navigation dans celui-ci se fait très facilement grâce à un curseur qu’il suffit de déplacer pour remonter le temps. L’option est donc appréciable même si elle se paye au prix d’une considérable augmentation de la taille des fichiers.

Par contre, un atout majeur de son collègue lui fait défaut : le format .ai d’Illustrator n’est pas directement supporté (si l’option Compatibilité PDF a été cochée lors de la sauvegarde, le fichier sera malgré tout importable). En plus des formats pixels (JPEG, PNG, TIF mais aussi PSD), il faudra se contenter de sauvegarder en natif (.afdesign), en PDF, SVG ou EPS.

Les réglages propres à chaque format sont accessibles via un simple clic sur le bouton Plus qui se trouve au bas de la boîte de dialogue de sauvegarde.
Les réglages propres à chaque format sont accessibles via un simple clic sur le bouton Plus qui se trouve au bas de la boîte de dialogue de sauvegarde.

Sauvé par le gong ?

Au bout du compte, Illustrator est loin d’être KO et reste un magnifique logiciel de dessin vectoriel. Mais jamais il n’a vu sa domination autant menacée. Ce qui impressionne le plus du côté de son nouvel adversaire, c’est la vitesse à laquelle il s’améliore. Entre la version beta, le lancement du produit final et la version actuelle, Serif n’a pas cessé de corriger ses imperfections et de lui ajouter de nouvelles fonctions. À ce rythme, il ne lui faudra pas longtemps pour rattraper son retard.

Mais changer d’outil n’est pas simple, surtout après des années de pratique intensive. Pour beaucoup de graphistes expérimentés, Illustrator est un vieux compagnon qu’il sera malgré tout difficile d’abandonner. Par contre, l’annonce récente de la sortie de versions Windows des logiciels Affinity ouvre de nouvelle possibilités à l’éditeur. Il pourra ainsi toucher un public plus vaste, moins professionnel peut-être, mais qui pourrait être attiré par un logiciel à la fois complet, fiable et bon marché… De quoi booster encore davantage les chiffres de vente.

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